les Yi

J’ai découvert les photographies de Li Lang dans le remarquable livre Portrait of a Country by 88 Chinese Photographers, images de Chine sélectionnées par le photographe Liu Heung Shing qui constituent une véritable histoire visuelle de la République populaire de Chine depuis 1949. (1)  Li Lang a photographié pendant plusieurs mois la minorité Yi, l’un des principaux groupe ethnique des 56 officiellement identifiés, ethnie principalement localisée dans l’ouest de la Chine dans les régions plutôt montagneuses du Sichuan, du Yunnan, du Guizhou et du Guangxi.

Li Lang raconte ce qui l’a animé pour réaliser son projet : rejeter la représentation habituelle et officielle d’un Tibet folklorique dans une esthétique de masse, insister sur l’enracinement de la communauté Yi dans ces rudes paysages de montagne, témoigner enfin d’une culture menacée par le départ des plus jeunes et l’homogénéisation imposée par le monde extérieur. (2)

DEUX SERIES, UNE SEULE REALITE

Le photographe a réalisé deux séries à double tranchant : la première série inscrit des instantanés de vie dans un espace à la limite de l’hostilité où la nature est un sujet à part entière. Les habitants Yi sont photographiés parfois de dos, les yeux fermés, prennent corps en avant ou en arrière plan, souvent au grand angle avec une distance qui donne une impression de solitude et d’isolement presque ritualisée. Même si elles sont habitées, il règne un silence de mort dans les images de Li Lang, celui de l’inscription muette, digne et sévère dans un territoire où les Yi ont appris à vivre en communion avec la nature depuis des générations.

La seconde série est plus construite, mise en scène. Li Lang a proposé aux membres de la communauté de se prêter au jeu du portrait, la plupart du temps en extérieur, parfois en studio. Devant une toile peinte avec quelques motifs naïfs, presque enfantins, un village champêtre, des oiseaux chantant dans un arbre fleuri, une pagode et des bambous, les sujets défilent un par un, parfois en couple, ou en groupe, un bouquet de fleurs ou un coq à la main, familles, paysans, citadins, jeunes filles en costume de fête, et se font photographier, comme dans les premiers temps de la camera obscura.

PORTEE POLITIQUE

La vision de cette série, en contrechamps de la précédente, provoque un double sentiment et correspond à une approche à la fois anthropologique et critique : si par son dispositif ritualisé, Li Lang parvient l’espace d’un instant à rendre cette population fière dans l’enregistrement de sa propre culture, véritable geste d’inscription dans le temps auquel ils participent, on ne peut s’empêcher d’y voir aussi, dans la mise en place de ce faux décor, le symbole critique d’une identité en danger, tout juste épinglée et exposée comme un cliché collé dans l’album de la muséification et de la classification ethnique.

On se prend alors à penser à ce lieu terrifiant, fait de carton-pâte, de villages témoins, habité par des acteurs payés au rabais, caricatures de peuples réels, lieu que l’on peut encore aujourd’hui visité à Pékin : le parc des minorités ethniques, véritable exposition coloniale de nos temps modernes.

Les photographies de Li Lang sont à double tranchant : elles font acte de résistance dans la représentation humble et distanciée des Yi que ces images nous donnent à voir. Elles ont aussi une portée critique très forte par la lisibilité politique qu’elles contiennent, celle de la réécriture esthétisée et romancée par le gouvernement chinois d’une réalité déniée, bientôt rayée de l’histoire, tout juste caricaturée.

(1) Liu Heung Shing, « Portrait of a country by 88 Chinese photographers », Taschen, 2008

(2) Interview de Li Lang lue sur le site « Photo Sanghai » – http://www.photoshanghai.org/spotlight/a-thousand-plateaus

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